ForêtJ'entends. Les animaux de la forêt font, de temps à
autres, entendre un bruit. C'est un chevreuil qui passe,
imperturbable, faisant semblant de ne pas me voir. C'est une grive
qui passe, de son étrange vol déséquilibré.
C'est un sanglier qui va fouir dans sa soue habituelle. C'est un
lièvre qui court dans les sous-bois. Je reste silencieux,
écoutant ces mille et un bruits qui me rassurent. Le monde n'a
pas cessé de tourner : les animaux vivent leur
vie. Je sens. Les mille et une odeurs qui remplissent mes sinus. Des
odeurs douces de noisetier en fleur. Un champignon d'écorce
qui pousse sur la souche pourrie d'un vieux chêne. L'odeur plus
forte d'un sanglier de passage, portée par le vent. Je sens
les mousses, les lichens qui poussent çà et là,
envahissant les arbres et les pierres. Je sens les pollens lâchés
par grappes par les herbes. Je vois. Le ciel éclate entre les feuilles, de tout son
bleuté, à peine écorché par endroits d'un
cirrus de passage, d'un blanc cru. Les feuilles des arbres, chacune
d'un vert différent, de celui, très clair, de la
feuille du noisetier au sombre, presque marron, des aiguilles de pin.
S'y mêlent les tons bruns des troncs, gris clair du bouleau,
brun presque noir du chêne, traces blanches d'un érable
perdu dans la forêt. La terre noire est couverte d'épines,
de ces pins sylvestres qui en perdent tout au long de l'année.
Un éclair sombre signale le déplacement d'un sanglier,
une laie passe au loin, suivie de deux marcassins en pyjama. Je ressens. La forêt vit en paix, elle vit sa vie, sa vie complexe d'être tentaculaire, végétal, animal, minéral. Tout n'y est qu'harmonie, des odeurs, des bruits, des couleurs. La paix se diffuse, s'insinue dans mon être. Mon coeur ralentit, bat plus sourdement. Je deviens terre, herbe, feuille, chevreuil. J'attends. J'attends un je ne sais exactement quoi. J'attends un signe, un quelque chose qui me fera reprendre mon chemin. Je sais que j'attends, je ne sais ce que j'attends. J'attends depuis des heures, peut-être, ce mystère que je saurai reconnaître et qui me signalera qu'il est temps. J'attends en écoutant la vie, j'attends en savourant l'air, j'attends en regardant la forêt, j'attends en m'imprégnant de la magie de l'endroit. C'est un bruit, un parfum, un mouvement qui me fait sursauter. Un
bruit comme mille autres. Un parfum comme cent autres. Une tache
blanche mouvante comme dix autres. Un bruit de bipède, une
odeur de sueur, une tache à hauteur d'homme. C'est le signal. Je me lève doucement, presque imperceptiblement, pour m'éloigner de l'homme. J'entends. J'entends un bruit sec, comme une branche craquant en
une fois. (07/09/2001) |