La cigale et la fourmi... A la manière de : pièce de théâtre

Le vicomte de la Scie Galloise se tient face au Fort Mage d'Ambert. Il porte haut chapeau, pantalons soignés de velours côtelé, pourpoint rouge et chemise de soie. Il s'orne d'une large cape noire et d'une médaille de Saint Hubert en or massif. Le Mage est vêtu d'une vague couvrante rapiécée, d'une cape élimée et poussiéreuse et d'un feutre déformé.

LE VICOMTE
Bonjour, Fort Mage, j'ai plaisir à vous rencontrer ;
Il m'arrive, voyez-vous, quelque difficulté.
LE FORT MAGE
C'est que, vous connaissant, je m'en serais douté ;
On sait que, dans la peine, vous revient l'amitié.
Dites-moi, ce que je peux faire pour votre service ?
LE VICOMTE
C'est que, vous me connaissez, j'ai un fâcheux vice ;
Quand je vois un brillant, je ne peux que l'acheter,
Et, voilà, aujourd'hui... J'ai plus rien à manger !
Je me demandais si vous pouviez me prêter
Quelque chose pour survivre, quelque chose à manger.
Mes belles élégances me coûtent une fortune,
Pour manger, aujourd'hui, je n'ai plus une thune...
LE FORT MAGE
Savez-vous, mon ami, d'où me viennent mes repas ?
Je travaille, toute ma vie, et jusqu'à mon trépas.
Je rebute mes envies pour mes crampes d'estomac ;
Je ne fais de folies, je ne m'habille pas ;
Je suis mieux dans mes hardes, et ce l'estomac plein,
Que vous n'êtes dans vos luxes, le ventre rempli de faim.
Travaillez, mon ami, car c'est là bien plus sage
Que mourir de coutumes ; rejetez les usages :
Manger comme paysan est sans doute meilleur
Que survivre en noble, ventre affamé en pleurs.
LE VICOMTE
Ah, monsieur, cessez donc ! Vos grands airs arrogants !
Vous, hobereau, qui, qui... N'avez même pas de gants !
LE FORT MAGE
Et alors ? Je n'ai pas de gants ? La belle affaire !
Il ne m'en restait qu'un, d'une très vieille paire
Elimée ; il m'était d'ailleurs fort opportun :
J'ai dû le laisser dans la figure de quelqu'un.
Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances ;
Je ne tolérerais d'avoir en ma conscience
Le souvenir d'avoir dû voler ma pitance
A un homme qui l'avait gagnée par sa souffrance.
Tous les jours, tous les mois, j'ai mérité ma bouffe ;
C'est pourquoi, voyez-vous, moi, jamais je ne souffre
Qu'on prenne ma nourriture, qu'on me vole, qu'on me pille ;
Si vous voulez manger, vendez donc vos habits !