Après une rencontre entre une "cigale" et une "fourmi", chacune raconte sa version...
Je me suis cette fois placé dans un contexte actuel. La "cigale" est une SDF, la "fourmi" une digne habitante du XVIè, à Paname...
Monsieur le ministre de l'Intérieur,
J'écris aujourd'hui pour vous faire part d'un grave problème
ayant récemment frappé l'immeuble où je réside.
L'association Droit Au Logement (DAL) ayant trouvé vides cinq
appartements de cet immeuble, elle a décidé d'en faire un
"squat", y invitant ainsi une litanie de pauvres à occuper les lieux,
contre l'avis du propriétaire de l'endroit.
L'un de ces appartements est contigü au mien.
Or, ces pauvres sont absolument insupportables d'arrogance et d'indiscrétion.
J'en tiens pour exemple la mésaventure qui m'est arrivée
cet après-midi.
J'étais au salon, tranquillement plongée dans les écrits
merveilleux de Gustave Flaubert, qui remédie agréablement
à ma fatigue après mes longues journées de travail.
La cloche ayant sonné, je vais ouvrir, naturellement ; et je
me trouve face à ma voisine, l'une des "squatters" de l'appartement
voisin. Elle n'est là que depuis deux jours, et déjà
elle s'impose horriblement à tous. Elle a de ces manières
! Il lui arrive même de ne pas changer de toilette entre l'extérieur
et l'intérieur : elle porte ces sortes de tissus rêches dont
s'affublent les jeunes d'aujourd'hui, les Jean, je crois, comme notre cher
d'Ormesson... Et puis, quel bruit elle fait, avec ses colocataires !
Voici donc cette horrible greluche face à moi. "Désolée..",
commence-t-elle.
Il y a en effet de quoi : si j'avais une tête pareille, j'aurais
au moins la décence de me maquiller. Elle est si maigre, son visage
est osseux...
- Désolée, dit-elle donc, mais mes revenus... Enfin,
je ne suis pas riche et si vous aviez un peu... Nous n'avons plus rien
à manger...
Quel culot ! Demander à manger pour rien ! Bien sûr, dans l'immeuble, nous mangeons tous - à part eux - à notre faim, mais nous gagnons notre argent ! J'eus, moi, la décence de travailler pour gagner mon pain. Je suis si occupée ! Quatre longues heures au bureau, quatre jours par semaine, tout cela pour ce minable salaire de vingt-huit mille francs mensuels... Enfin, je gagne mon pain, contrairement à ces "squatters".
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je me permets de vous rappeler que ce pauvre Charles n'eut jamais toléré une telle chienlit, et je vous demande d'urgence de faire évacuer, par la force s'il le faut, ces insupportables "squatters".
En espérant que vous donnerez une suite favorable à ma demande, veuillez agréer, monsieur le ministre, l'expression de ma plus haute considération.
Cher Fredo,
Juste quelques mots pour donner de mes nouvelles.
Le DAL m'a trouvé un appart dans un immeuble "de standing",
comme ils disent. On y est cinq, tranquilles. Le flics ont bien déjà
essayé de nous jeter quand on s'est pointés, mais Jacquart
et Schwartzenberg s'étaient enchaînés au radiateur.
Et comme, politiquement, ils ne pouvaient pas les tabasser sans faire de
dégâts, ils ont fini par nous laisser emménager. Bien
sûr, les voisins se sont bien plaints de l'intrusion, mais le bruit
des matraques les a laissés froids...
D'ailleurs, les voisins, ils m'ont encore jetée il n'y a pas
trois heures. Tu sais ce que c'est, à cinq sans salaire, même
en passant quinze heures par jour dans la rue et en faisant tous les petits
boulots possibles, on a vite fait de crever la dalle. On avait rien à
claper et les éboueurs venaient de passer - c'est le luxe, le XVIè,
ils n'arrêtent pas de ramasser les poubelles.
J'ai été "élue" à l'unanimité moins
une voix pour aller faire le tour de l'étage demander de la graille.
Et là, c'est l'autre aspect du XVIè qui ressort : te demande
pas pourquoi ils sont pourris d'oseille, c'est qu'ils ont toujours gardé
le moindre centime.
La pire, c'est notre plus proche voisine. Je sonne, elle ouvre ; t'aurais
vu l'intérieur ! J'en suis restée Baba, c'est la caverne
d'Ali. Il y avait une bibliothèque dans un coin, un truc immense
avec le nom des auteurs écrit sur les étagères. Elle
avait un bouquin à la main, La chartreuse de Parme, un truc
énorme de -bââh ! - Flaubert. Tu sais, le bouquin de
cinq cents pages que, perso, je pourrais résumer et en dire autant
en trois lignes.
Bref, la femme pleine de fric à en craquer. Ben, crois-le si
tu veux, elle m'a jetée de première. Rien à becqueter,
rien à donner, pas un centime... Je me suis rencardée : elle
file cinquante sacs par ans à la concierge, avec un seul talbin
gros comme une baraque ; mais nous, on peut crever...
Après ça, ils vont encore s'étonner qu'on vote
à gauche...