Maréchal.

    Maréchal est militaire. Il n'est au lycée que dans un seul but : il veut être cireur. Cyrard, excusez-moi. Elève de Saint-Cyr, quoi. Saint-Cyr est la grande école militaire ; on y forme, pêle-mêle, les différentes espèces de bidasses de demain.
    Maréchal est petit, mais il faut dire qu'il est jeune : supérieurement intelligent, ce qui, au vu de ses choix d'orientation, ne l'empêche pas d'être prétendant au trône du roi des cons, il a pris deux ans d'avance sur la moyenne. Il est sûr de son intelligence, fier de sa future grandeur, orgueilleux de la Grande Tache qui l'attend : éliminer l'ennemi du pays, cogner les étudiants rêvant de liberté, flanquer les beurs à la Seine sur ordre de ses supérieurs, éradiquer les... (saletés de bougnoules, connards de viets, salauds de civils, enculés de japs, dégénérés de Soviétiques, cons d'Africains révoltés contre la civilisation bienfaitrice, bandes de sales cons de fils de putes de connards de pacifistes pourris, complétez selon votre humeur du jour).
    Maréchal a pris quelques années d'avance sur la connerie obligatoire. Il se tient droit, marche vite, saccadé, au pas cadencé, la longueur de chaque pas mesurée au millimètre ; il porte sur le crâne l'une des deux seules coupes autorisées : une sorte de tonsure en négatif. Il eut volontiers adopté l'autre, un coup de rasoir toutes les semaines, un coup de gant pour se coiffer, mais elle aurait juré avec la couleur mate de la peau de ses frère et soeur. Maréchal est en outre habillé comme une loque, fringué comme un snob, affublé des hardes réglementaires : pantalons de velours cotelé, pull en laine bleue nervée, béret bleu sombre et surtout, suprême insulte aux pacifistes imbéciles traînant dans ce lycée noyauté par les idéalistes gauchistes, il porte au flanc de sa poitrine bombée l'insigne officiel de l'école de la bêtise hautaine.
    Franck est un fervent pacifiste, qui ne tolère la violence que lorsqu'elle porte sur un militaire - ou, à la rigueur, un témoin de Jéovah prosélyte. Un "anarchiste rigolard", diraient les journaleux. Face à lui, Maréchal tente désespérément de se justifier, parlant non pas d'armée mais de "défense nationale" ou de "force de dissuasion". Il explique, arrivant presque à donner l'air d'y croire - mais tous le savent trop intelligent pour cela -, que l'armée sert à la paix. Car, sans armée, les autres auraient tôt fait de venir s'installer chez nous, voler nos femmes et violer le pain de nos Arabes.
    - Heu, oui, mais, le pain, il doit être à tous, ici ou ailleurs... Et ma femme, elle sait se défendre, et si elle préfère un étranger, c'est son droit, non ?
    - Oui, mais non. Parce que, si ta femme copule avec un étranger, elle participe à la perte du patrimoine national Français...
    - Français, en adjectif, ne prend pas de majuscule. Demande à Simon !
    - Moi, je mets toujours une majuscule à Français. Je fais ce que je veux, non mais !
    - Et puis, ma femme, elle est étrangère, couillon !
    Car Franck est un mauvais patriote.
    Le raisonnement que soutien Maréchal est d'une limpide clarté : il faut faire la guerre pour faire la paix. Raisonnement inspiré de l'oeuvre de Roba (cf Boule et Bill N° 6), pour jouer aux Indiens : il faut déterrer la hache de guerre pour pouvoir ensuite l'enterrer. Une bonne guerre mondiale, atomique de préférence, et la paix véritable pourra s'instaurer. Et puis, il ne faut pas oublier qu'un pays désarmé disparaît inéluctablement, envahi par les hordes étrangères...
    - Et qu'est-ce qu'on s'en fout d'être Français ou étrangers ? Tant qu'on est vivant...
    C'est encore Franck qui vient semer le désordre dans les superbes raisonnements de Maréchal. Salaud de Franck ! A la guillotine, ces intégristes pacifistes ! Et ce con de Mitterrand... On s'étonne, après de voir augmenter la criminalité... Car, au fond, les pacifistes sont source de guerre : en refusant d'y aller éliminer les belligérants, il laissent la situation s'envenimer jusqu'à ce qu'elle devienne incontrôlable. Car : les militaires font la paix, et les pacifistes la guerre.
    Maréchal, pourtant n'est pas con. Il est même trop intelligent pour ne pas être absolument sûr de son choix sublime de devenir assassin professionnel et néanmoins fonctionnaire. Il refuse pour lui-même toute possibilité de réorientation dans une voie plus pacifique : ce serait une gravissime abdication face à la vague pacifiste qui submerge la pauvre France en ces temps troublés de Mai 1998. Il ne reste qu'à espérer que sa première sortie militaire le mette face à une gamine de quatre ans, éclatée par une roquette, qui reste dans son champ de vision une bonne semaine. Alors, peut-être, Maréchal rejoindra les gens sensés, les anarchistes rigolards, les pacifistes intégristes, pour crier avec eux :

Quelle connerie, la guerre !

Publié avec l'aimable autorisation de Maréchal.
Caractères - Maréchal - par Franck Méé