Simon est un véritable play-boy. Jeune,
son visage lisse porte les traces d'une innocence que même ses élèves
sont loin d'avoir. Il a le nez long et les joues rouges de celui qui abuse
d'alcool, bien que sa blonde et angélique tête donne à
penser qu'il ignore jusqu'à l'existence de cette diabolique substance.
Avec ses cheveux jaune clair, sa face fine, son
allure tendue, son corps maigre d'échalas, ses vêtements soignés
et ses souliers cirés, il fait penser à un mannequin ; il
plaît aux femmes. Becky, même, en parle avec émerveillement,
l'appelant "Meussieu Saiiimaune" avec de grands yeux émerveillés.
Elle chante ses louanges jour et nuit, vantant ses qualités merveilleuses
d'homme et d'enseignant. Ce qu'elle ignore, c'est que Simon est comme son
illustre ancêtre Louis XIII : il n'aime pas les femmes. Du moins
est-ce l'impression qu'il laisse à ses élèves, qui
n'en hésitent pas à se moquer de lui. En effet, lorsque l'on
parle de femmes, le visage de Simon prend un air étrange ; le rouge
de ses joues gagne peu à peu toute la face, qui s'affine encore
; la tête lui tombe sur le torse. Il a l'air gêné de
celui qui touche au pêché interdit. Toutefois, s'il semble
n'aimer pas les femmes, Simon semble encore moins attiré par les
hommes ; c'est pourquoi je le comparai à Louis XIII et non à
Henri III.
Simon possède d'office un capital sympathie
élevé auprès des élèves ; peut-être
est-ce dû à leur appartenance à la même génération.
Toutefois, voyez comme les gens sont bizarres, il fait tout pour se discréditer
auprès d'eux, dès le premier jour : aboyant ses mots plus
que les disant, il paraît revenir de l'armée - cette impression
est soulignée par la faible longueur et par la coupe de ses cheveux.
Lorsqu'après quelque temps les élèves
ont réussi à le calmer, à percer cette carapace qu'il
avait érigée de prime abord, à traverser le désert,
à casser la glace qui les séparait, il bute obstinément
sur le dernier point : il est le seul professeur à tenir à
se faire appeler Monsieur. Lorsqu'un élève laisse échapper
un tutoiement, naturel envers une personne normale de leur âge, Simon
prend la mouche ; il rougit un peu, son oeil se durcit, et il rappelle
la sacro-sainte règle : de la même manière que l'on
ne tutoyait pas un roi, on ne tutoie pas Monsieur. Décidément
la féodalité semble avoir laissé un goût de
trop peu dans sa bouche. Peut-être, après tout, est-il descendant
de noble lignée, enfant direct de Cyrano de Bergerac ? En tous les
cas ne s'est-il jamais présenté en cours en cape avec le
sabre au flanc, pour trancher la tête du premier Cristo venu.
Cristo est un élève de Simon. Il
est de tous le plus surpris de son comportement. Il a la tête large,
le nez arqué, la petite taille de l'Italien machiste de base. En
bon Italien, il ignore ou presque l'existence du vouvoiement, il avait
d'entrée remplacé pour Simon son "Monsieur" par un "Ragazzo"
qui, pour être plus simple, n'en était pas moins respectueux.
Devant ces familiarités intempestives, Simon a tôt fait de
le négliger, alors que leur amour commun pour les "belles" italiennes
de Fiat leur promettait une longue et fructueuse amitié ; au contraire
l'année ne sera qu'une longue série d'incidents que ni la
tête de cochon de Cristo ni le cerveau borné de Simon n'arrangeront.
Simon, pendant ses cours, laisse rapidement paraître
un tic très gênant : il a une grave déformation des
cordes vocales qui lui fait régulièrement dire "viktorugo"
au milieu de ses phrases. Parfois aussi, sous le coup d'une émotion
violente, ce "viktorugo" se transforme-t-il en "staindalle" ou "gustavflobèr",
mais cela reste assez rare pour ne pas entrer dans la garantie des vices
cachés.
Notons enfin que Simon est très attaché
à la langue française ; Amélie est devenue célèbre
pour faire régulièrement les frais. Elle manie pourtant le
Français avec une aisance proche de la perfection ; il lui arrive
toutefois d'écrire "langue Française" au lieu de "langue
française". Alors Simon, voyant son Dieu agressé, sa seule
religion blessée par l'élève peu soigneuse, par l'adolescente
irrespectueuse, sévit. Il saisit un stylo rouge, raye, entoure,
corrige, réécrit, et à chaque mouvement de son stylo
correspond une baisse de la valeur de la copie. Lorsque le lendemain il
rend ce qui n'est plus qu'un torchon rempli de rouge à Amélie,
il revoie la Faute, ce F au lieu du f, cette majuscule honteuse, cette
capitale horrible ; de nouveau il devient rouge, assorti à la copie
qu'il tient fixement face à ses yeux exorbités. Il précise
ironiquement, à l'adresse de la classe, la note d'Amélie,
que lui seul arrive à retrouver dans la quantité de gribouillis
rouges entourant la composition scolaire. Il répète encore
un par un la liste des points qu'il a retirés : "française
en adjectif ne prend jamais de majuscule, moins un ; une capitale sur une
nationalité placée derrière un nom, moins un ; faute
de casse, moins un ; majuscule mal placée, moins un ; ...". Peu
à peu, Amélie est devenue livide, la classe est muette de
stupeur. Lorsqu'il a fini, il remet enfin la copie à l'élève,
qui voit alors son seize raturé sept fois, au profit d'un neuf.
Ses protestations n'y feront rien, Simon restera intraitable : jamais il
ne reviendra sur une note qu'il a placée, d'ailleurs elle est déjà
dans l'ordinateur, il s'est battu avec une heure pour qu'il l'accepte,
il ne va pas essayer de la modifier après tous ces efforts...
Simon a obtenu une médaille d'argent au dernier
concours du plantage d'ordinateur, après avoir échoué
de peu derrière Alex.
Quelque temps après avoir écrit
cette chose innomable, les copains ont trouvé marrant de faire passer
le texte à Simon. Le lendemain, alors que j'allais rentrer en cours,
j'ai vu arriver sur moi un monstre en furie, à un tel point que
j'ai cru qu'il allait m'assomer. Il m'a quasiment jeté dessus une
liasse de feuillets : sa réponse...